Où l’on explique que participer à Wikipedia incite, sans que l’on s’en rende obligatoirement compte, à développer et utiliser son esprit critique
Ça a commencé par une mention courte dans certains articles de Wikipedia : [citation needed]. En français, [référence nécessaire]. Ces deux mots, ajoutés à la suite d’affirmations particulièrement sujettes à caution, servent à indiquer qu’aucune source n’est pour le moment fournie concernant la provenance de cette information.
Wikipedia étant modifiable par tout internaute, il est important de préciser ces sources, car elles permettent au lecteur d’évaluer la fiabilité du contenu.
C’est ensuite devenu une private joke, une blague comprise uniquement des initiés. On a ainsi vu des autocollants [citation needed] apposés sur des affiches, dans la rue, à la suite d’affirmations particulièrement péremptoires.
xkcd, une célèbre bande dessinée sur Internet, a également consacré une planche à ce sujet (l’une de mes favorites). On y voit, lors d’un discours politique, un membre de l’assemblée tendre un panneau [citation needed] à l’adresse de l’orateur, l’invitant ainsi à fournir des références pour étayer ses affirmations et ses promesses:
Je pense que la volonté, parfois même la manie, d’indiquer la source des informations ajoutées dans les articles de Wikipedia a un effet profond sur ses auteurs. C’est une impression que j’ai particulièrement ressentie lors des différentes rencontres avec des Wikimédiens, de France ou d’ailleurs. Ils ont souvent les mêmes réflexes, la même tendance à immédiatement exercer leur esprit critique face à n’importe quelle information.
Malgré la quantité de reproches que l’on peut faire à Wikipedia, il est au moins une influence positive que l’on doit lui reconnaître : au milieu de la quantité d’information prémâchée, prépensée que l’on subit à la télévision, la radio et sur Internet, participer à Wikipedia incite à développer et utiliser son esprit critique. En ce sens, Wikipedia crée une nouvelle génération de citoyens éveillés, qui exercent leur esprit critique face à l’information, notamment en cherchant à savoir d’où elle vient et si elle est fiable.
Ainsi, lors de la rédaction de ma thèse de doctorat, en particulier le premier chapitre, dédié à l’analyse du contexte et du travail existant, je me suis rendu compte à quel point les habitudes de « sourçage », héritées de la rédaction d’articles dans Wikipedia, faisaient maintenant partie de ma façon d’écrire.
Je me sentais obligé de justifier toute affirmation par sa source : l’ouvrage, l’article de revue, le travail de référence qui permet à quiconque de vérifier les faits et éventuellement d’approfondir le sujet. Cette démarche paraît normal, car il s’agit de l’idéal de la rédaction scientifique ; pourtant, de nombreux livres, mémoires ou articles scientifiques ne font pas preuve de la même rigueur.
Certains pourront arguer que ce sens critique était déjà développé chez les Wikipédiens avant même qu’ils ne commencent à participer, et que cette catégorie de la population est plus facilement attirée par le concept de Wikipedia.
Si c’est le cas, j’en suis un parfait contre-exemple. Il est vrai que j’ai également bénéficié d’une formation scientifique qui encourage la rigueur d’esprit mais, scientifique ou non, avant de m’impliquer dans Wikipedia, je n’avais pas le réflexe de mettre autant en question l’information qui m’environnait.
Pour finir, je dois reconnaître que rédiger des articles dans Wikipedia n’est pas l’unique facteur de mon changement de comportement face à l’information. En effet, il faut dire qu’à force de lire et d’entendre les aberrations proférées sans relâche par les journalistes (à propos de Wikipedia notamment, mais pas seulement), ma confiance en la presse en a pris un sacré coup. Voire même, a été totalement anéantie.